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Écrit par : Sébastien Falter et Elise
Un peu d’histoire
Quand on évoque le nom Davilex, beaucoup de joueurs se remémorent instantanément des boîtes de jeux colorées achetées en grande surface, des heures passées à conduire sur des tracés de routes approximatifs et surtout des titres dont la qualité technique ne suivait pas toujours les promesses de la jaquette. Mais avant d’entrer dans les anecdotes, il faut rappeler une chose essentielle : le nom même de la société vient de la contraction de David Brons (Davi) et Lex van Oorspronk (lex), les deux fondateurs néerlandais qui décident en 1986 de se lancer dans le logiciel grand public. À l’origine, Davilex ne fait pas du jeu vidéo mais des programmes utilitaires de gestion, de comptabilité ou d’éducation. Le virage vers le jeu se fait progressivement dans les années 1990, porté par une idée simple mais redoutable : produire des titres peu coûteux, faciles à distribuer, et jouant sur une identité locale forte. C’est cette logique qui donnera naissance à toute une série de jeux de course dont certains deviendront célèbres en France, malgré (ou grâce à ?) une réputation désastreuse dans la presse spécialisée.
Les débuts et la logique de marché
À la fin des années 1980, le paysage vidéoludique européen n’a rien de commun avec l’industrie mondialisée d’aujourd’hui. Chaque pays dispose encore de ses propres circuits de distribution, de ses magazines et de ses éditeurs locaux. Les fondateurs de Davilex comprennent vite que pour s’imposer, il faut miser sur le grand public et non sur les passionnés technophiles. Le modèle choisi repose sur deux piliers : des coûts de développement réduits et une distribution massive dans les grandes surfaces. À cette époque, beaucoup de familles découvrent le jeu vidéo par l’intermédiaire d’un PC acheté pour la bureautique. Ces foyers cherchent des titres abordables, simples à installer et qui rappellent des environnements familiers. Davilex va combler ce vide en proposant des jeux où l’on conduit sur des routes connues, où l’on incarne des véhicules reconnaissables, et où l’investissement demandé est minime. Cette approche ne séduira jamais les critiques spécialisées, mais elle fera vendre.
Le phénomène « Racer »
Le véritable tournant vient avec A2 Racer, un jeu de course prenant pour décor l’autoroute reliant Amsterdam à Utrecht. Le succès local encourage Davilex à décliner la formule. En Allemagne, la série devient Autobahn Raser, surfant sur la fascination pour les autoroutes illimitées. En Angleterre, on a droit à London Racer. Aux États-Unis, ce sera USA Racer et en France : Paris-Marseille Racing. Dans chaque cas, le principe est identique : reproduire de façon (très) approximative des routes ou monuments nationaux et laisser les joueurs participer à des courses contre une IA nulle peu subtile. Techniquement, les jeux reposent sur un moteur graphique basique, avec des textures simples et des modèles de voitures qui semblent souvent datés dès leur sortie. Pourtant, le concept fonctionne commercialement, notamment parce que les boîtes sont présentes dans tous les hypermarchés et vendues à des prix très attractifs.
En Allemagne, Autobahn Raser atteint même des chiffres de ventes impressionnants, au point de recevoir une distinction de l’association VUD pour avoir dépassé les 100.000 exemplaires vendus (c’était beaucoup pour l’époque). Cela montre que le public visé par Davilex existe bel et bien : des joueurs occasionnels qui ne lisent pas forcément la presse spécialisée et qui veulent juste conduire sur des routes qu’ils connaissent. En France, Paris-Marseille Racing devient un titre emblématique. On y retrouve des circuits inspirés des nationales françaises, des véhicules populaires et une promesse simple : prendre le volant de sa voiture virtuelle pour relier la capitale à la cité phocéenne.
Paris-Marseille Racing et ses suites en France
En 2000 sort donc le premier Paris-Marseille Racing sur PC, rapidement suivi de la version PlayStation. L’accueil de la presse vidéoludique est glacial : les magazines français parlent d’un jeu techniquement en retard, au gameplay répétitif, aux musiques peu inspirées. Pourtant, le titre s’impose en tête de gondole dans les rayons jeux vidéo des grandes surfaces. Davilex mise alors sur l’effet de reconnaissance : les joueurs ont l’impression de rouler sur des routes connues, de croiser des panneaux familiers et d’évoluer dans un univers localisé. Fort de ce succès commercial, un deuxième opus voit le jour en 2002, avec davantage de véhicules, de circuits et une compatibilité élargie. Le moteur graphique reste identique, mais l’emballage change.
La déclinaison française ne s’arrête pas là. On trouve ensuite des titres comme Europe Racing ou des éditions spéciales à thématique plus marquée, comme Police Madness, qui propose de vivre des courses poursuites dans un cadre urbain. Davilex s’autorise même à recycler les circuits en changeant seulement le contexte marketing. La presse reste unanime sur la médiocrité des productions, mais le public cible, lui, continue d’acheter. Le modèle fonctionne quelques années : vendre beaucoup, avec peu d’investissement.
Diversification et expérimentations
Au-delà des jeux de course, Davilex tente plusieurs incursions dans d’autres genres. L’une des plus marquantes est la série RedCat, destinée aux enfants. Ces jeux éducatifs, mélange de mini-jeux et d’apprentissages scolaires, visent les familles cherchant un logiciel pédagogique peu coûteux. Ils rencontrent un certain succès aux Pays-Bas, même si leur diffusion reste limitée à d’autres territoires.
Davilex tente aussi les simulateurs avec 112 Reddingshelikopter, qui place le joueur dans la peau d’un pilote d’hélicoptère de secours. Le jeu mise sur une thématique rare à cette époque, celle du sauvetage, mais souffre une fois encore de limites techniques. Enfin, le studio s’essaie au FPS avec AmsterDoom, également connu sous le nom d’Amsterdam Monster Madness. Ce Doom-like (pardon Doom!) se déroule dans les rues d’Amsterdam et sera décliné en Allemagne sous le nom Invasion Deutschland, avec des environnements locaux. Cette version provoque même une petite controverse à cause d’un niveau se déroulant près du Reichstag. Ces expériences montrent la volonté de Davilex de diversifier son catalogue, mais elles confirment aussi l’incapacité technique du studio à rivaliser avec les grands noms du secteur.
L’acquisition de licences internationales
Au début des années 2000, Davilex franchit une nouvelle étape en obtenant des licences connues. En 2002 sort Knight Rider: The Game, adaptation de la série culte K 2000. Le joueur incarne Michael Knight au volant de KITT, la voiture parlante. Une suite, Knight Rider 2, voit le jour en 2004. La même année, Davilex publie un jeu basé sur la série Miami Vice. Sur le papier, ces productions auraient pu représenter une montée en gamme. Dans la pratique, elles souffrent des mêmes défauts que les autres jeux Davilex : graphismes datés, jouabilité simpliste et fidélité douteuse à l’univers original. Les fans espéraient retrouver l’ambiance des séries, mais les critiques furent sévères. Pour Davilex, ces projets représentaient pourtant une tentative sérieuse de crédibiliser leur catalogue.
La stratégie d’édition et les versions locales
À mesure que les années passent, Davilex internalise de moins en moins de développement. L’entreprise adopte un rôle d’éditeur, publiant des jeux conçus par d’autres studios. C’est le cas de titres comme GIGN Anti-Terror Force, déclinaison française d’une série qui existe aussi sous d’autres noms en Europe (SAS au Royaume-Uni et GSG-9 en Allemagne). Ces FPS tactiques sortis en 2005 sont unanimement critiqués pour leur manque de finition, mais ils illustrent bien la stratégie de localisation extrême de Davilex : proposer le même jeu sous des noms différents pour séduire les marchés nationaux. En France, la référence au GIGN attire l’œil, mais l’expérience ludique reste navrante.
Le déclin du pôle jeux
Entre 2001 et 2005, la situation devient intenable. L’augmentation des coûts de développement, la concurrence de studios mieux équipés et la montée en puissance des consoles rendent caduc le modèle de Davilex. Les joueurs deviennent plus exigeants, la presse plus influente, et les grandes surfaces commencent à donner plus de place aux blockbusters. Davilex tente de s’adapter, mais l’écart technique est trop grand. En 2005, la division jeux est officiellement arrêtée. Davilex, en tant qu’entreprise, ne disparaît pas totalement : la société conserve d’autres branches logicielles, mais le jeu vidéo ne fait plus partie de son activité.
Héritage et mémoire collective
En France comme ailleurs, Davilex laisse une empreinte particulière. Ses jeux ont marqué une génération qui les a découverts par hasard, souvent comme premiers titres PC ou PlayStation achetés à petit prix. Beaucoup de joueurs se souviennent de Paris-Marseille Racing non pas pour sa qualité, mais pour son omniprésence en rayon et pour son aspect involontairement comique. D’autres se rappellent d’avoir essayé K 2000 ou Miami Vice et d’avoir été déçus, mais amusés par le décalage entre la promesse et la réalité. Davilex n’a jamais produit de chef-d’œuvre, mais son rôle d’éditeur de masse lui a permis de rester gravé dans la mémoire collective comme un cas unique : celui d’un studio qui a vendu énormément en proposant des jeux objectivement ratés.
Un studio culte malgré lui
Aujourd’hui, quand on parle de Davilex, c’est souvent avec un sourire en coin. L’entreprise, par sa stratégie atypique, a réussi à marquer durablement le paysage vidéoludique européen. Non pas grâce à la qualité de ses productions, mais à cause de leur médiocrité répétée. Les critiques se moquaient, les joueurs pestaient, mais les boîtes continuaient de se vendre. Dans un sens, Davilex fut l’un des studios les plus « drôles » de son époque : non pas volontairement, mais parce que ses jeux étaient si maladroits dans leur conception qu’ils en devenaient mémorables. Beaucoup de joueurs français se rappellent encore des heures passées sur Paris-Marseille Racing, pas pour sa jouabilité, mais pour les fous rires provoqués par des collisions improbables et des circuits irréalistes. L’histoire retiendra donc Davilex comme un éditeur qui, à sa manière, a su laisser une trace indélébile dans la culture du jeu vidéo : celle d’un studio dont les échecs sont devenus une forme de succès comique, à tel point que certains amateurs de retro gaming les recherchent et les collectionne, chez Reboot Game, sans vouloir nous vanter, nous en avons une belle petite collection !