[Dossier] La santé mentale dans les jeux vidéo

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Écrit par : Sébastien Falter et Elise

[Dossier] La santé mentale dans les jeux vidéo
[Dossier] La santé mentale dans les jeux vidéo

Quand la santé mentale s’invite dans le jeu vidéo

La semaine dernière, nous vous avons proposé un dossier sur le corps médical. Dans ce dossier, nous avons abordé le thème de la santé mentale dans les jeux vidéo mais nous l’avons volontairement survolé, car aujourd’hui, nous allons entrer un peu plus dans les détails : il faut bien reconnaître que le sujet est vaste.

Le jeu vidéo a longtemps été perçu comme un simple divertissement, une bulle colorée où l’évasion prime sur la réflexion. Pourtant, au fil des années, les créateurs ont commencé à s’attaquer à des thématiques bien plus profondes, parfois inconfortables, mais incroyablement humaines. Parmi elles, la santé mentale occupe aujourd’hui une place particulière. Ce qui était autrefois un sujet presque tabou, à peine effleuré par peur de choquer, est devenu une matière première narrative, un moteur émotionnel et un outil pédagogique. Le joueur n’est plus seulement invité à sauver des royaumes imaginaires ou à combattre des monstres mythiques : il se retrouve souvent face à des combats intérieurs, des blessures invisibles, des voix intérieures qui résonnent douloureusement.

Mais pourquoi ce changement ? Pourquoi cette plongée dans l’intimité psychique des personnages ? Et surtout, quel est l’impact de ces représentations sur les joueurs eux-mêmes ? Ces questions méritent qu’on s’y attardent, car elles révèlent une mutation culturelle majeure. Si le cinéma et la littérature ont déjà défriché ce terrain, le jeu vidéo a longtemps eu la réputation d’éluder la complexité psychologique au profit de l’action immédiate. Pourtant, des titres comme Hellblade: Senua’s Sacrifice, Celeste ou Disco Elysium ont prouvé qu’il était possible de mêler gameplay et introspection avec une intensité que peu d’autres médias peuvent égaler.

Ce dossier vous propose une plongée exhaustive dans cet univers où les pixels deviennent des métaphores des angoisses humaines. Nous explorerons les jeux qui font de la santé mentale leur cœur narratif, ceux qui l’effleurent comme une ombre inquiétante, et ceux qui en font une force thérapeutique.

Quand le jeu vidéo devient un miroir de l’esprit humain

Certains jeux n’ont pas peur d’attaquer de front la question des troubles psychiques, en plaçant le joueur dans la peau de personnages fragiles, hantés par leurs propres démons. Hellblade: Senua’s Sacrifice reste un exemple marquant, en plongeant le joueur dans l’esprit tourmenté de Senua, une guerrière Picte atteinte de psychose. Le jeu ne se contente pas d’évoquer cette pathologie, il la fait ressentir grâce à un travail sonore d’une précision chirurgicale : des voix murmurent à l’oreille, conseillent, critiquent, trahissent. Cette immersion auditive transforme chaque pas en une lutte pour rester ancré dans la réalité.

Un autre exemple emblématique est Celeste, un jeu de plateforme qui, sous ses airs rétro et son gameplay exigeant, raconte le combat intérieur d’une jeune femme contre l’anxiété et la dépression. Chaque sommet à gravir devient une métaphore des obstacles psychologiques. Loin d’être un simple défi mécanique, chaque chute, chaque reprise symbolise une tentative de surmonter ses peurs.

L’angoisse comme moteur de l’expérience

D’autres titres choisissent d’aborder la santé mentale par le prisme de l’horreur psychologique. Silent Hill 2 reste l’exemple absolu de cette approche. Le joueur y incarne James Sunderland, un homme rongé par la culpabilité et la douleur, dans une ville qui reflète ses pulsions refoulées. Chaque monstre, chaque couloir oppressant est une projection des tourments intérieurs du protagoniste. Le jeu ne se contente pas de faire peur : il dérange, car il pousse le joueur à explorer des zones grises de la psyché humaine.

Amnesia: The Dark Descent et Layers of Fear adoptent des stratégies similaires, mais avec une intensité sensorielle accrue. Dans Amnesia, la perte progressive de la raison devient une mécanique de jeu : rester dans l’obscurité trop longtemps plonge le personnage dans la panique, altère ses perceptions. Ici, la santé mentale n’est pas un thème en arrière-plan, c’est une ressource à gérer.

Dépression et mélancolie en pixel art

Les studios indépendants se sont emparés de la question avec une sensibilité unique. Gris, avec son univers aquarellé et sa bande-son planante, raconte une dépression sans en faire la moindre mention. Les couleurs, ou plutôt leur absence, expriment le poids de la tristesse mieux que n’importe quel dialogue.

Omori aborde le sujet avec un mélange déroutant de douceur et d’horreur. Sous son esthétique kawaii se cache une histoire bouleversante où la culpabilité et le suicide hantent chaque recoin du jeu.

Night in the Woods opte pour un autre ton : celui de la désillusion. Dans la peau de Mae, une jeune adulte revenue dans sa ville natale après avoir quitté ses études, le joueur explore la torpeur des petites villes américaines, la dépression latente et l’angoisse du futur incertain.

Quand le gameplay devient une métaphore de la souffrance

Certains jeux ne se contentent pas de raconter la souffrance mentale, ils la traduisent directement dans leurs mécaniques. Spec Ops: The Line en est l’exemple le plus marquant. Sous des airs de TPS classique, le jeu installe une spirale de violence qui devient une descente aux enfers psychologique. Le joueur, croyant accomplir des actions héroïques, découvre progressivement que ses choix l’ont transformé en monstre. La mécanique des fusillades, répétitive et brutale, cesse d’être un simple plaisir ludique pour devenir une métaphore de la perte de repères et de l’effondrement moral.

Les jeux comme espace thérapeutique et introspectif

Il existe une dimension méconnue des jeux vidéo : leur potentiel thérapeutique, non pas dans un cadre médical strict, mais comme catalyseur d’introspection. Tell Me Why en est un exemple marquant. Développé par Dontnod, ce jeu narratif explore la mémoire, les traumatismes et l’identité de genre avec une sensibilité rare. Le joueur n’est pas confronté à une action frénétique, mais à des choix délicats qui engagent l’émotion et la réflexion. Ce type d’expérience prouve que le jeu peut être un espace où l’on prend le temps de questionner ses certitudes et de réévaluer ses blessures.

Quand la santé mentale inspire la science et la technologie ludique

Si la représentation des troubles psychiques dans le jeu vidéo suscite un intérêt artistique et narratif, elle inspire aussi la recherche scientifique. Des projets comme Sea Hero Quest ont été conçus pour recueillir des données utiles à l’étude des maladies neurodégénératives. En analysant la manière dont des millions de joueurs naviguent dans un environnement virtuel, les chercheurs ont pu identifier des schémas cognitifs révélateurs de pathologies mentales.

La face obscure : dépendance et toxicité sociale

Toutefois, si le jeu vidéo peut devenir un allié de la santé mentale, il peut aussi en être un adversaire. L’exemple des jeux multijoueurs compétitifs comme League of Legends illustre ce paradoxe. Ces environnements favorisent l’interaction sociale, mais peuvent également générer des comportements toxiques et une pression de performance délétère. Les sessions prolongées, la peur de décevoir ses coéquipiers, l’obsession de la victoire peuvent conduire à un stress intense, voire à un épuisement émotionnel.

Quand l’avatar devient un outil de reconstruction identitaire

La création d’avatar n’est pas qu’une coquetterie esthétique, elle peut être un acte profondément psychologique. Dans Les Sims, par exemple, des joueurs reproduisent des scénarios de vie idéalisés ou, au contraire, cathartiques en réécrivant des trajectoires traumatiques. Ce pouvoir de modeler un univers virtuel devient un exutoire, un laboratoire d’expérimentation où l’individu reprend un contrôle qu’il croit avoir perdu dans la réalité.

Un médium entre ombre et lumière

Les jeux vidéo ont parcouru un long chemin, passant du simple divertissement à un espace où s’expriment des problématiques humaines complexes. La santé mentale y occupe aujourd’hui un rôle paradoxal : tantôt matière à réflexion profonde, tantôt outil thérapeutique, mais aussi parfois prétexte commercial ou facteur aggravant de troubles existants. On entend souvent dire par la presse mainstream suite, par exemple, à une tuerie de masse que l’auteur des faits jouait à tel ou tel jeu vidéo, comme si ce simple fait expliquait ses actes. Chez Reboot Game, ces accusations portées au média ont le don de nous agacer fortement, d’autant plus qu’il existe plusieurs études scientifiques sérieuses prouvant qu’au contraire, jouer aux jeux vidéo sans excès améliorent la mémoire, la coordination, l’apprentissage de certaines langues et surtout amènent à un état de relaxation qui aide justement à réduire l’anxiété ! En tout cas, dans l’équipe, nous n’avons jamais vu quelqu’un aller taper sur des tortues ou des Tanukis parce qu’ils jouaient trop à Mario ou Animal Crossing.

Ce constat ne doit pas occulter la richesse du médium. La diversité des approches, du réalisme cru de Tell Me Why à la poésie interactive de Gris, en passant par les expérimentations scientifiques de Sea Hero Quest, prouve que le jeu vidéo peut contribuer à une meilleure compréhension de l’esprit humain. Il peut troubler, émouvoir, soigner, ou au contraire fragiliser. En cela, il reflète parfaitement notre époque : un monde où la frontière entre virtuel et réel s’efface, mais où le besoin d’humanité reste plus que jamais essentiel.

Note de Reboot Game:

Les troubles mentaux recouvrent un large spectre, allant de difficultés légères et passagères à des pathologies sévères, chroniques et invalidantes.

Si vous ne vous sentez pas bien, si vous êtes plus stressé que d’habitude, ou pire, si vous avez des pensées sombres, n’attendez pas : consultez en urgence un professionnel de santé.

Des personnes spécialement formées sont là pour vous écouter et vous accompagner, vous n’êtes pas seul(e).

📌 Voici quelques ressources utiles :
Aide à distance en santé : Contacts utiles sur Santé publique France
Trouver un psychologue sur ameli.fr
Les actualités sur la santé mentale sur ameli.fr
Santé mentale de l’adulte: Définition et facteurs en jeu sur ameli.fr
– ☎️ Numéro national de prévention du suicide : 3114 (https://3114.fr)

Merci à Elise pour son aide dans ce dossier

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