[Dossier] Les formats physiques les plus absurdes du jeu vidéo

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Écrit par : Sébastien Falter

Quand l’objet devient délire

À première vue, l’histoire du jeu vidéo semble parfaitement balisée par une série logique d’évolutions technologiques. Du magnétophone à la cartouche, du CD-ROM au téléchargement, tout semble couler de source. Pourtant, dans les recoins de cette progression raisonnable se nichent des moments de pure absurdité. Des formats physiques qui n’avaient ni la technologie, ni l’ergonomie, ni même parfois le bon sens avec eux, mais qui ont pourtant existé. Certains sont nés de contraintes matérielles, d’autres de paris marketing ou de rêves fous. Ce dossier revient sur ces bizarreries matérielles qui défient la logique.

Quand les cassettes servaient à tout…

Avant que les cartouches ne deviennent le support standard sur consoles, les jeux vidéo sur ordinateurs domestiques des années 1980 circulaient principalement sur cassette audio. Sur ZX Spectrum, Amstrad CPC, Commodore 64 et bien d’autres, les jeux étaient chargés à l’aide de lecteurs à bande magnétique, souvent pendant plusieurs minutes, avec un taux d’échec affligeant. Le moindre déplacement du câble ou un magnétophone capricieux suffisait à corrompre le chargement.

Commodore 64
Commodore 64 avec un lecteur de cassette

Mais le plus absurde n’était pas tant le support que certaines expérimentations annexes. Des éditeurs vendaient parfois des jeux avec des données sur les deux faces de la cassette, obligeant l’utilisateur à retourner manuellement la bande au bon moment. Plus étonnant encore, quelques développeurs tentaient de placer des pistes musicales sur la même cassette, ce qui obligeait à savoir sur quelle face se trouvait le jeu et sur laquelle la musique, souvent imprimée à la main sur une jaquette floue. L’objet de jeu devenait une énigme physique.

Le PC sur vinyle

L’une des expérimentations les plus curieuses reste celle de Data Records et d’autres petits éditeurs, qui, dans les années 1980, proposaient des jeux pour ordinateurs personnels sous la forme de disques vinyles. Oui, des 45 tours destinés à être lus non pas par un tourne-disque, mais par un magnétophone relié à l’ordinateur. Le principe était simple : le sillon contenait des données audio comme une cassette, converties ensuite en code machine. Le disque était inutilisable pour la musique (sauf à supporter un affreux bruit binaire), et très peu fiable pour le jeu.

Ce format n’a jamais eu de réelle chance de fonctionner, mais sa simple existence témoigne d’une époque où les créateurs de jeux étaient encore des bricoleurs, prêts à utiliser n’importe quel outil domestique à leur portée. En voulant rendre le jeu vidéo aussi accessible qu’un single pop, ces tentatives ont accouché d’un monstre hybride : le jeuvinyle.

En rédigeant ce dossier, je n’ai pas réussi à trouver la moindre image de ce format à vous proposer. Si vous possédez un tel système chez vous ou connaissez un lien vers une éventuelle image de ce système, contactez-nous directement par mail, Fuze, Facebook, X ou YouTube. Vous serez, bien entendu, crédité.

Le Mega CD Karaoke

Le Mega CD Karaoke de Sega mérite sa place dans ce panthéon des formats absurdes, non pas tant pour le média (le CD), que pour l’usage qui en était fait. Au Japon, Sega a commercialisé une version de la Mega CD destinée uniquement à la lecture de disques de karaoké, tout en conservant la compatibilité avec les jeux Mega CD. Le lecteur, volumineux et peu élégant, nécessitait une console Mega Drive branchée en tandem.

Mega CD Karaoke
Boîte du Mega CD Karaoke de Sega

Le vrai problème était l’absence de compatibilité logique : les CD de karaoké ne tiraient aucun profit de la technologie Sega, et les jeux ne bénéficiaient en rien des fonctionnalités audio supplémentaires. On obtenait donc un monstre bicéphale qui tentait de réunir deux usages totalement incompatibles. Ce genre de machine hybride aurait pu préfigurer des formats multimédia, mais a surtout souligné l’absurdité de certaines ambitions marketing.

Le jeu PC en disquettes 5″¼… jusqu’en 1996

Alors que le CD-ROM s’imposait dès 1993 sur PC, quelques éditeurs ont continué de proposer leurs titres en disquettes 5″¼, un format pourtant déjà quasi obsolète au début des années 1990. L’exemple le plus connu reste Monkey Island 2, qui nécessitait pas moins de 11 disquettes pour être installé. Chaque changement de zone dans le jeu déclenchait un ballet de « Insérez la disquette 5« , « Insérez la disquette 2« , « Retour à la disquette 6« , ce qui rendait l’expérience grotesquement morcelée.

Monkey Island 2
Monkey Island 2 avec les 11 disquettes 5″¼ du jeu

Mais certains éditeurs, comme Apogee ou Sierra, continuaient de proposer des versions 5″¼ jusqu’à 1996 pour contenter une frange de joueurs mal équipée. Le maintien d’un format aussi encombrant et fragile, alors que les lecteurs CD devenaient la norme, s’explique certes par la volonté de ne pas exclure de clients, mais aussi par une forme d’inertie absurde dans la distribution.

Les formats propriétaires aux noms oubliés

Dans la jungle des consoles, certains fabricants ont voulu éviter les standards pour imposer leur propre format. Le plus absurde reste peut-être le GD-ROM de la Dreamcast. Ce disque ressemblait à un CD, mais ne pouvait être lu que par la console de Sega. L’objectif était de lutter contre le piratage, ce qui échoua rapidement, tout en gardant un coût de fabrication inférieur au DVD. Résultat : un format bancal, incompatible partout ailleurs, et incapable de contenir autant de données que ses concurrents.

Plus loin encore dans l’absurdité : la NUON de VM Labs, une console intégrée à des lecteurs DVD de salon, proposait des jeux sous forme de disques NUON, lisibles uniquement sur certains modèles de platines. Ces disques n’avaient aucune identité visuelle propre, et leur existence est aujourd’hui presque fantomatique.

NUON
Un lecteur DVD avec le jeu Ballistic au format NUON

Le format UMD de la PSP

Lancé en 2004 avec la PlayStation Portable, le UMD (Universal Media Disc) était censé révolutionner le jeu portable. Ce disque propriétaire logé dans une coque en plastique offrait une capacité de 1,8 Go, soit plus qu’un CD. Pourtant, le format posait de multiples problèmes : temps de chargement interminables, bruit de rotation permanent, sensibilité aux rayures et à la poussière. Pire encore : Sony tenta d’en faire un support vidéo en vendant des films sur UMD, avec un catalogue aussi bancal que coûteux.

UMD
Quelques jeux et films au format UMD pour la PSP

Les UMD sont aujourd’hui des reliques d’un passé technologique qui croyait pouvoir imposer des mini-CD sous blister. À l’heure du stockage flash, ces disques combinent tous les défauts sans en tirer un seul avantage.

Les cartouches géantes de la Neo Geo AES

La Neo Geo AES proposait sans doute les plus gros formats cartouche jamais conçus pour une console de salon. À cause de leur héritage directement tiré des bornes d’arcade MVS, ces cartouches ressemblaient à de petits livres reliés, à peine moins encombrants que les boîtiers VHS. Mais surtout, leur prix dépassait les 1500 francs à l’époque, soit plus de 200€ actuels, pour un seul jeu.

Neo Geo AES
Cartouche géante du jeu The King of Fighters 95 pour la Neo Geo AES

À ce tarif, on obtenait un objet aussi luxueux qu’absurde : une cartouche massive, un manuel épais, parfois un fourreau cartonné et une jaquette d’un kitsch assumé. Le jeu vidéo devenait un produit de luxe inaccessible, enfermé dans un format physique oversize.

Les cartouches hybrides de la DS et 3DS

Nintendo a parfois été à la fois brillant et confus dans ses choix matériels. La 3DS, par exemple, permettait de lire des jeux DS, mais interdisait à ses propres cartouches 3DS de fonctionner sur une DS. Pour éviter la confusion, Nintendo modifia physiquement les cartouches 3DS en leur ajoutant un petit ergot, les rendant incompatibles avec les fentes DS. Cette décision purement matérielle n’avait pas d’autre justification que le cloisonnement commercial, au prix de la lisibilité pour le public.

DS et 3DS
Comparaison des cartouches de jeu Nintendo DS (à droite) et 3DS (à gauche)

Dans le même registre, la carte de jeu DSi, censée utiliser des fonctions spécifiques à la console DSi, n’était ni compatible avec la DS Lite, ni pleinement exploitée sur DSi elle-même. Un format inutilement spécifique, condamné par sa propre ambiguïté.

Les éditions absurdes en format géant

Depuis les années 2010, certaines éditions limitées ont poussé le concept de format physique jusqu’à l’absurde. L’exemple le plus célèbre reste probablement la mallette de Call of Duty: Black Ops, vendue avec une caméra espion fonctionnelle, ou encore l’édition Titanfall, livrée avec une figurine de 40 centimètres dans une boîte aussi grosse qu’un micro-ondes.

Le support de jeu en lui-même, souvent un simple Blu-ray ou un code de téléchargement, devenait secondaire. Ce n’était plus le format du jeu qui était absurde, mais celui de son packaging. L’objet physique passait du rôle de support à celui de totem. Une dérive qui continue avec des « press kits » parfois invraisemblables, allant jusqu’à inclure des briques, des insectes empaillés ou de la nourriture périmée (oui, oui).

Le format absurde comme reflet de l’époque

Derrière chaque format physique absurde du jeu vidéo se cache une époque, une contrainte technique, ou une logique commerciale étrange. Des cassettes aux disques NUON, des cartouches géantes aux mini-disques propriétaires, ces objets racontent une histoire faite d’expérimentations, de limites techniques et de rêves industriels souvent trop grands pour leurs moyens.

Et si ces formats nous font sourire aujourd’hui, c’est justement parce qu’ils témoignent d’une époque où tout était encore à inventer. L’absurde, dans le jeu vidéo, n’est jamais loin de l’audace.

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