Écrit par : Sébastien Falter et Elise
![[Dossier] L’histoire des scams dans les jeux vidéo](https://i0.wp.com/reboot-game.com/wp-content/uploads/2025/11/Dossier_L_histoire_des_scams_dans_les_jeux_video.webp?resize=810%2C540&ssl=1)
Menu du dossier
Naissance d’un phénomène discret
Le mot « scam » appartient au langage moderne, mais le concept existait déjà à l’époque où les jeux vidéo tenaient sur quelques kilo-octets. Le scam vidéoludique, c’est cette zone instable où les rêves vendus aux joueurs sont tellement éloignés de la réalité que l’on quitte le terrain de l’erreur pour entrer dans celui de la tromperie. À l’époque des premiers micro-ordinateurs, des développeurs promettent des aventures spatiales épiques, des jeux de rôle d’une profondeur inédite ou des simulations révolutionnaires. Sur la jaquette, un vaisseau détaillé par un illustrateur professionnel promet une bataille homérique, alors qu’en réalité le joueur se retrouve face à un carré blanc représentant une navette qui traverse un fond noir ponctué de pixels clignotants. L’écart entre l’art promotionnel et la réalité technique devient parfois si grand qu’il dépasse le simple excès marketing pour entrer dans la manipulation.
Dans certains cas, cette illusion ne résulte même pas d’une volonté malveillante. De nombreux créateurs de l’époque ne possèdent pas l’expérience nécessaire pour comprendre l’ampleur de ce qu’ils annoncent. Ils publient des promesses sans mesurer leur propre capacité de production. Mais d’autres, à l’inverse, exploitent délibérément cette naïveté collective. Certaines sociétés éphémères surgissent le temps d’une publication, attirent l’attention grâce à des slogans audacieux, puis disparaissent sans laisser de trace. Beaucoup de collectionneurs d’aujourd’hui possèdent encore des cartouches de jeux vendus comme révolutionnaires alors qu’ils n’étaient que des copies rudimentaires d’œuvres déjà existantes ou même de simples programmes incomplets. L’industrie vidéoludique n’a pas encore assez d’ampleur pour réguler ces dérives et le public n’a pas encore les outils pour vérifier la crédibilité d’un studio. Le scam trouve ainsi un terrain fertile.
L’arrivée des consoles populaires et l’émergence des premières arnaques à grande échelle
Lorsque le marché des consoles explose, les scams changent d’ampleur. L’histoire retient souvent des cas célèbres comme certains jeux Atari vendus dans des boîtes promettant des expériences extraordinaires alors que la réalité manquait de finition. Le cas de E.T. the Extra-Terrestrial est souvent cité, même si son échec tient plus à la précipitation qu’à une véritable arnaque intentionnelle. Pourtant, autour de lui gravitent une multitude de titres obscurs, publiés par des éditeurs opportunistes, qui profitent de l’engouement général pour sortir des jeux volontairement bâclés, parfois même injouables. Certains ne dépassent jamais le premier écran, plantent avant de commencer ou n’incluent que quelques secondes de gameplay. Des éditions fantômes circulent, produites dans l’urgence pour profiter d’une vague commerciale, puis abandonnées dès le lendemain.
La multiplication de consoles concurrentes crée aussi un climat propice aux mensonges techniques. Plusieurs fabricants prétendent proposer des machines plus puissantes qu’elles ne le sont réellement, avec des chiffres inventés ou exagérés concernant le nombre de couleurs qu’elles sont capables d’afficher, la quantité de sprites simultanés ou les capacités sonores. Ces exagérations contribuent à un environnement où il devient difficile de distinguer les ambitions sincères des manipulations délibérées. Dans ce contexte flou, le scam commence à se structurer, car les joueurs réalisent que certaines entreprises utilisent l’absence de régulation comme un bouclier derrière lequel elles peuvent dissimuler n’importe quoi.
La révolution 3D et l’amplification du mensonge visuel
Quand la 3D arrive dans les années 90, le scam vidéoludique trouve un nouvel habillage. Les bandes-annonces deviennent un outil central du marketing et certaines entreprises n’hésitent pas à présenter des vidéos entièrement pré-rendues comme s’il s’agissait d’extraits réels du jeu. Le public se souvient encore des images incroyablement détaillées de certains titres qui, une fois joués, se révélaient bien éloignés des visuels fantasmés. Les premiers cas célèbres apparaissent, comme Daikatana de John Romero et sa campagne de communication agressive promettant une révolution totale du FPS. Le jeu final, lourd, buggué et techniquement obsolète au lancement, devient l’une des premières désillusions massives à l’échelle internationale. La promesse d’un titre visionnaire se transforme en exemple emblématique d’un projet écroulé sous son propre discours.
Dans le secteur du RPG, certains studios annoncent des mondes ouverts gigantesques alors que la technologie de l’époque ne permet même pas d’assurer une stabilité minimale. Des jeux comme Advent Rising ou certains titres de studios aujourd’hui oubliés promettent des épopées cinématographiques qui se transforment en expériences inachevées, parfois si bancales que des séquences entières ne peuvent même pas être jouées. L’écart entre l’annonce et la réalité technique devient une zone dangereuse où de nombreux joueurs sentent pour la première fois que la confiance peut être brisée de manière profonde.
Le cas de Too Human, annoncé comme le début d’une trilogie monumentale, illustre aussi cette époque troublée. Le jeu subit un développement totalement chaotique, change plusieurs fois de moteur, promet des systèmes de combat révolutionnaires, puis sort dans un état incapable de refléter les ambitions initiales. Le projet entier se dissout, entraînant avec lui la réputation d’un studio pourtant expérimenté. Cet exemple montre combien il est facile pour une production à gros budget d’adopter les codes du scam involontaire lorsque le gouffre entre le rêve et le produit final devient trop large.
L’âge d’or des illusions collaboratives
Avec l’arrivée de la distribution numérique, des forums et des plateformes de financement participatif, le scam connaît une mutation majeure. Les joueurs peuvent désormais contribuer financièrement à la création d’un jeu, ce qui ouvre la porte à une nouvelle génération de mésaventures, ou, ne machons pas nos mots : d’arnaques. Certains projets obtiennent des sommes colossales en promettant des concepts grandioses. Divers RPG occidentaux, des MMO ambitieux et des jeux de survie photoréalistes apparaissent sur Kickstarter ou d’autres plateformes, promettant des mondes vivants, des systèmes économiques complexes et des mises à jour constantes. Plusieurs d’entre eux disparaissent une fois les fonds collectés. Le cas de Yogventures! reste l’un des symboles de cette période, avec un projet porté par une communauté enthousiaste, financé massivement, puis abandonné sans qu’un véritable jeu ne voie le jour.
Dans un autre registre, le cas de The Stomping Land illustre parfaitement la fragilité de ces productions. Présenté comme un jeu de survie où l’on pourrait chasser des dinosaures dans un monde immense, le projet séduit des milliers de joueurs avant de sombrer dans l’abandon total, laissant derrière lui une version incomplète et un silence radio du développeur. À la même époque, des titres comme Godus de Peter Molyneux attirent l’attention par des promesses visionnaires d’évolution constante et d’interactions massives entre joueurs. Le résultat final, bien loin des ambitions initiales, ravive la question de savoir où s’arrête l’erreur et où commence le mensonge.
Certains jeux deviennent même emblématiques de ces dérives, comme The War Z, aussi connu sous le nom d’Infestation: Survivor Stories, qui présente des fonctionnalités inexistantes lors de sa sortie, utilise des images trompeuses et subit une avalanche de critiques. Le jeu, vendu comme un titre complet alors qu’il ressemble davantage à une version pré-alpha, entraîne une polémique telle que la plateforme Steam finit temporairement par le retirer.
Les projets fantômes et les vaporwares aux contours inquiétants
Les années qui suivent voient apparaître plusieurs projets qui fascinent autant qu’ils inquiètent. Certains titres adoptent des stratégies de communication si énigmatiques qu’ils finissent par susciter des soupçons. Le cas d’Abandoned, annoncé sur PlayStation directement via le blog PlayStation, avec un teasing mystérieux et des sous-entendus étranges, attire des foules de joueurs persuadés qu’il s’agit d’un projet secret de Hideo Kojima. À mesure que le temps passe, le doute s’installe. Les démonstrations prévues sont annulées, les explications se contredisent et les vidéos sont incohérentes. Le projet se transforme en phénomène viral, mais aucune preuve tangible d’un véritable développement ne parvient à rassurer la communauté. Beaucoup voient dans cette affaire l’un des exemples les plus frappants de projet fantôme de l’ère moderne.
D’autres cas, comme certains jeux survival MMO apparus en masse sur Steam, montrent que de nombreux studios créent des prototypes basiques avant de les habiller d’images artificielles ou d’assets préfabriqués. Ces titres sortent parfois pendant quelques heures, puis disparaissent immédiatement après avoir vendu des packs fondateurs. La multiplication des asset-flips, ces jeux construits à partir de modèles achetés en ligne et assemblés en quelques jours, contribue aussi à ce climat d’incertitude. Certains utilisent même des captures d’autres jeux pour tromper les joueurs sur la qualité réelle du produit.
Le cas particulier de No Man’s Sky
Il serait impossible de parler de la notion de scam sans évoquer le cas très médiatisé de No Man’s Sky. Le jeu n’était pas un scam intentionnel, mais sa communication a créé des attentes si extravagantes que beaucoup de joueurs se sont sentis trompés. Dès les premières bandes-annonces, le titre promet un univers infini, des créatures variées, des interactions profondes et des possibilités quasi illimitées. Lors de sa sortie, le jeu se révèle bien plus minimaliste. Les réseaux sociaux explosent, les joueurs se divisent entre défenseurs convaincus que le jeu finira par atteindre son potentiel et détracteurs persuadés d’avoir été manipulés. La suite de l’histoire montre un retournement de situation relativement rare : les développeurs continuent de travailler pendant des années, ajoutent des dizaines de fonctionnalités et transforment totalement le produit. Ce cas devient une référence incontournable dans le débat sur la frontière entre ambition et tromperie.
Les AAA qui flirtent dangereusement avec la promesse mensongère
Même les grosses productions ne sont pas à l’abri. Le lancement de Aliens: Colonial Marines reste un exemple d’écart monumental entre présentation et produit final. Les démos publiques montrent un jeu extrêmement immersif, avec une intelligence artificielle bluffante et des environnements détaillés. Le produit final est radicalement moins abouti, au point qu’une simple erreur de syntaxe dans un fichier détermine en partie le comportement chaotique des ennemis. Les joueurs se sentent dupés, car le marketing a volontairement entretenu une confusion entre démonstrations scriptées et gameplay réel.
Un autre exemple souvent cité est Anthem, titre extrêmement ambitieux qui promet un univers vivant, des combats dynamiques, une narration profonde et un suivi à long terme. Le développement chaotique, les changements permanents de direction artistique et l’absence de vision claire transforment le jeu en expérience creuse. La communication, quant à elle, maintient jusqu’au dernier moment l’image d’un jeu presque finalisé alors que les développeurs s’efforcent de stabiliser un projet encore fragile la veille de sa sortie officielle.
Plus récemment, le lancement de Cyberpunk 2077 soulève aussi de nombreuses questions. Bien que le jeu soit riche et ambitieux, la version diffusée sur certaines plateformes anciennes est si instable qu’elle renvoie l’image d’un produit inachevé. L’écart entre les trailers impeccables et la réalité technique surprend une grande partie du public. Si le jeu n’est évidemment pas un scam, son lancement démontre combien la notion de promesse non tenue peut rapidement s’étendre aux productions les plus prestigieuses.
L’âge des NFT et des arnaques modernes
Avec l’essor de la blockchain, une nouvelle génération de scams apparaît. Plusieurs jeux Play-to-Earn promettent des gains faramineux, des mondes ouverts connectés où chaque objet possède une valeur réelle et des économies virtuelles qui s’auto-alimentent. Beaucoup ne sont que des coquilles vides destinées à attirer des investisseurs inexpérimentés. Certains disparaissent aussitôt les ventes réalisées et d’autres s’effondrent lorsque leur modèle économique s’écroule. Des titres basés sur des images générées automatiquement se présentent comme des projets révolutionnaires, mais ne dépassent jamais le stade de prototype.
Le cas de EvolveAI, qui promettait des créatures générées par intelligence artificielle prêtes à évoluer en fonction de l’interaction des joueurs, illustre cette période. Le projet attire des milliers d’investisseurs avant de s’effondrer, révélant une communication mensongère, des visuels empruntés à d’autres studios et un développement inexistant.
Les jeux inspirés par les crypto-monnaies voient aussi apparaître des mods suspects, des serveurs fermés sans préavis et des créateurs qui disparaissent avec les fonds. Plusieurs titres Play-to-Earn reprennent même des univers célèbres pour attirer les joueurs, allant jusqu’à réutiliser illégalement des assets de jeux connus.
L’illusion devient de plus en plus facile à fabriquer
L’essor des technologies génératives soulève une inquiétude nouvelle. Avec la capacité de produire rapidement des environnements, des modèles 3D, des dialogues, des images et des bandes-annonces, il devient plus simple que jamais de créer un jeu fantôme qui semble crédible. Un développeur mal intentionné peut simuler l’existence d’un studio complet, fabriquer des vidéos attrayantes, générer des centaines de captures d’écran et donner l’illusion d’un projet ambitieux sans jamais écrire une seule ligne de code.
Les joueurs redoutent de plus en plus la multiplication de projets qui s’effondreront avant même leur sortie. Le cas d’Abandoned a montré combien une communication bien orchestrée peut tromper une communauté entière. À l’avenir, des projets similaires pourraient émerger en masse, rendant presque impossible la distinction entre un jeu réellement en développement et un faux projet utilisant des outils automatisés.
Un phénomène ancien, mutable et impossible à éradiquer
Le scam vidéoludique n’est pas un accident de parcours de l’industrie. C’est un phénomène qui évolue à chaque époque, suivant les modes, les technologies, les tendances économiques et la naïveté humaine.
- Dans les années 80, il prend la forme de jaquettes trompeuses.
- Dans les années 90, il adopte les images pré-rendues.
- Dans les années 2000, il exploite la révolution Internet.
- Dans les années 2010, il investit le financement participatif.
- Dans les années 2020, il se maquille en projets blockchain et en visuels générés artificiellement.
Chaque génération voit apparaître des illusions nouvelles, des promesses excessives, des studios fantômes, des projets abandonnés et des titres bâclés. Les joueurs apprennent, mais les arnaqueurs apprennent aussi.
Encore aujourd’hui, la frontière entre ambition légitime et manipulation délibérée est parfois ténue. L’important, désormais, est de comprendre cette histoire pour mieux reconnaître les signaux d’alerte et ne pas se laisser emporter par le discours séduisant d’un rêve vidéoludique trop beau pour être vrai.