[Dossier] L’histoire des tutoriels ratés

Temps de lecture estimé : 11 minutes

Écrit par : Sébastien Falter et Elise

[Dossier] L’histoire des tutoriels ratés
[Dossier] L’histoire des tutoriels ratés

Quand apprendre devient un fardeau

Il y a toujours un moment délicat dans un jeu vidéo: ce moment où le joueur entre pour la première fois dans un univers inconnu. Tout est encore vierge, les mécaniques ne sont pas assimilées, les boutons n’ont pas encore trouvé leur logique naturelle dans les mains, et la promesse d’aventure se heurte à un besoin bien concret : expliquer comment jouer. C’est là qu’intervient le tutoriel, censé guider sans brider, apprendre sans ennuyer, et surtout s’effacer dès que l’on a compris l’essentiel. Pourtant, aussi simple que cela puisse paraître, cette phase d’apprentissage a donné naissance à certains des moments les plus laborieux de l’histoire du jeu vidéo. Car si un bon tutoriel passe inaperçu, un mauvais reste en mémoire comme une lourdeur, un obstacle, voire une raison d’abandonner un jeu.

Dans ce dossier, on va plonger au cœur de ces échecs. Pas seulement pour rire des maladresses ou pointer du doigt des choix discutables, mais pour comprendre pourquoi ces passages ratés marquent autant, comment ils transforment la relation du joueur avec le jeu, et parfois même comment ils ruinent une expérience pourtant prometteuse.

Quand la main est trop lourde

Il existe une première catégorie de tutoriels ratés, ceux qui prennent le joueur pour un enfant qu’il faut tenir par la main à chaque instant. On les reconnaît vite : chaque bouton est accompagné d’un message envahissant, voire une pause infligée, chaque action est imposée avec une lenteur exaspérante, et l’impression de liberté disparaît totalement. Un exemple resté dans les mémoires est celui de The Legend of Zelda: Skyward Sword. Le jeu, pourtant riche et profond, démarrait avec une séquence interminable où chaque geste était dicté pas à pas, sans aucune place pour l’intuition. Monter à cheval, frapper avec l’épée, courir, tout était accompagné de panneaux explicatifs, répétés plusieurs fois, comme si le joueur n’avait jamais touché une manette de sa vie. Beaucoup ont parlé de cette introduction comme d’un frein, au point que le jeu a acquis la réputation d’avoir l’un des démarrages les plus fastidieux de la saga.

Mais il ne s’agit pas seulement de Zelda. Des jeux comme Okami souffraient aussi de ce syndrome : des écrans entiers de texte apparaissaient pour décrire des gestes que l’on aurait pu deviner naturellement. Le paradoxe est que ces titres misent souvent sur l’immersion, sur la beauté de leur univers, et s’auto-sabotent en bombardant le joueur de phrases techniques au lieu de lui laisser la joie de découvrir. Ce genre de tutoriel est raté non pas parce qu’il est faux ou incomplet, mais parce qu’il refuse de faire confiance à l’intelligence et à la curiosité du joueur.

Quand l’explication tue le rythme

Il y a aussi les jeux qui coupent leur propre élan en introduisant des tutoriels trop longs, trop bavards, au moment où tout devrait s’accélérer. Prenons Final Fantasy XIII. Dès les premières heures, l’aventure semble suspendue dans une sorte de cours magistral interactif. Chaque combat devient une occasion d’ajouter une nouvelle mécanique, chaque pas en avant est freiné par une fenêtre d’explication. On ne joue plus vraiment, on lit, on assimile et on attend que la vraie aventure commence. Beaucoup de joueurs se sont découragés dans ces premières heures, lassés de voir l’histoire avancer au ralenti à cause d’une avalanche de précisions.

Un cas similaire peut être trouvé dans Metal Gear Solid 2, où Hideo Kojima avait poussé son goût pour les dialogues interminables à l’extrême. Le joueur débutait sa mission, prêt à s’infiltrer, mais était stoppé régulièrement par de longues conversations codec expliquant des détails sur les commandes. On pouvait passer plus de temps à écouter des instructions qu’à agir. Le problème ici n’est pas seulement la longueur, mais le fait que l’on ressent une frustration : on sait quoi faire, on veut essayer, et le jeu nous interdit d’aller plus vite.

Quand le tutoriel devient un obstacle

Il arrive aussi que le tutoriel ne soit pas seulement ennuyeux, mais qu’il empêche littéralement d’apprécier le jeu. Un exemple souvent cité est celui d’Assassin’s Creed III. L’introduction dure plusieurs heures, au point que certains joueurs pensaient encore être dans le tutoriel bien après avoir déjà terminé des séquences entières. On enchaîne les missions guidées, les explications forcées, et le véritable cœur du jeu, l’exploration en monde ouvert, la liberté d’action, arrive bien trop tard. Cette lenteur a créé une réputation tenace : beaucoup ont abandonné avant même d’atteindre le moment où le jeu se révélait enfin.

Un autre exemple frappant, et encore plus catastrophique, est GIGN Anti-Terror Force de Davilex. Le jeu est devenu un symbole de tout ce qu’il ne faut pas faire dans un tutoriel : dès le départ, il était impossible de savoir quoi faire. Les indications étaient confuses, les objectifs flous, et la progression totalement arbitraire. Beaucoup de joueurs ont abandonné avant même d’avoir compris les commandes de base ou le but des missions. Ce titre est resté dans la mémoire collective non pas pour sa jouabilité, mais pour son incapacité totale à guider le joueur. Davilex, développeur désormais défunt, mérite d’ailleurs un regard plus large : son catalogue entier contient des idées curieuses et souvent mal exécutées, et un dossier complet lui sera consacré prochainement.

Un autre exemple marquant est Driver sur PlayStation, sorti en 1999. Le jeu commence par une mission dans un parking, où le joueur doit exécuter une série de manœuvres précises en un temps limité : frein à main, dérapages, marche arrière rapide, et ainsi de suite. Rien n’est expliqué clairement, les commandes sont exigeantes, et la moindre erreur oblige à tout recommencer. Résultat : un grand nombre de joueurs n’ont jamais passé ce premier test. Le tutoriel n’apprenait pas vraiment, il éliminait. C’est devenu un cas d’école de “mauvaise première impression”, au point d’être encore cité 26 ans plus tard.

Quand l’apprentissage est plus compliqué que le jeu lui-même

Certains tutoriels ratés tiennent à une disproportion : la phase d’explication devient plus ardue que le reste du jeu. Monster Hunter est célèbre pour son système complexe, mais les anciens épisodes, avant la démocratisation de la saga, se noyaient dans des instructions mal conçues. Les tutoriels multipliaient les quêtes explicatives, demandant de récolter tel ou tel objet sans donner d’indications claires. Les nouveaux joueurs étaient perdus, obligés de chercher des guides en ligne pour comprendre ce que le jeu aurait dû leur enseigner. L’ironie, c’est que le plaisir de chasser des monstres colossaux était caché derrière une barrière de didacticiels mal fichus.

De la même manière, certains jeux de stratégie comme Civilization IV proposaient des tutoriels si détaillés et si denses que l’on avait l’impression d’assister à un cours théorique interminable avant de pouvoir réellement jouer. On passait plus de temps à lire qu’à expérimenter et paradoxalement, on ne retenait pas grand-chose. L’information mal dosée devenait un brouhaha inaudible, alors que la pratique aurait suffi.

Quand il n’y a pas de tutoriel… et que c’est pire encore

À l’inverse, il existe des jeux qui ratent complètement leur tutoriel… en n’en proposant pas. Dark Souls est souvent cité comme un exemple brillant d’apprentissage organique, mais il faut rappeler que de nombreux joueurs ont abandonné dès la première heure, incapables de comprendre comment verrouiller une cible ou utiliser une fiole d’Estus. Le jeu donne très peu d’indications, se contente de quelques inscriptions au sol, et laisse le joueur se débrouiller. Pour certains, c’est génial, pour d’autres, c’est impardonnable. On touche ici à une question de philosophie : un tutoriel absent peut être perçu comme une force ou comme un défaut, mais il devient raté dès lors qu’il décourage plus qu’il n’inspire.

Un autre cas frappant est Shadow of the Colossus. Le jeu ne propose pas de véritable tutoriel, et certains joueurs découvrent trop tard des mécaniques pourtant essentielles, comme la possibilité de tirer à l’arc depuis son cheval. La magie de la découverte est réelle, mais elle peut aussi mener à des frustrations durables, quand l’on réalise qu’on a passé des heures sans utiliser un outil pourtant crucial.

Quand le ton casse l’immersion

Certains tutoriels échouent non pas par leur contenu, mais par leur manière de s’adresser au joueur. Dans des jeux qui visent une atmosphère sérieuse ou dramatique, un tutoriel trop scolaire peut briser l’ambiance. On se souvient de Resident Evil 4 qui, malgré sa tension permanente, affichait des instructions basiques en grosses lettres à l’écran. Le contraste entre l’horreur et le ton “manuel scolaire” créait une dissonance.

Un autre exemple est Far Cry 3, qui commence par une séquence narrative intense avant de se transformer en cours accéléré de survie avec des messages techniques intrusifs. Le joueur passe d’un moment cinématographique à des fenêtres de texte froides, ce qui nuit à la cohérence de l’expérience. Le problème n’est pas d’expliquer, mais de le faire d’une manière qui respecte l’univers.

Quand les tutoriels deviennent des caricatures

Avec le temps, certains jeux ont pris conscience de la mauvaise réputation des tutoriels et ont tenté de les tourner en dérision. Mais l’humour peut lui aussi se retourner contre le jeu. BattleBlock Theater en est un exemple : le narrateur commente de manière ironique les actions du joueur, ce qui amuse un temps, mais finit par agacer quand cela ralentit la progression. Le tutoriel devient alors une sorte de sketch étiré, plus soucieux de faire sourire que d’apprendre efficacement.

On retrouve ce problème dans Conker’s Bad Fur Day, où le tutoriel prend la forme d’une blague méta sur les conventions du jeu vidéo. Sur le papier, c’est brillant, mais dans la pratique, cela retarde encore le moment où l’on peut enfin profiter du gameplay. Le danger des tutoriels parodiques, c’est qu’ils restent des tutoriels malgré tout, et qu’ils peuvent cumuler les défauts de longueur et de lourdeur tout en prétendant les critiquer.

Quand la mémoire du joueur n’est pas respectée

Il existe aussi des tutoriels qui ratent leur but parce qu’ils oublient que les joueurs ont déjà des connaissances de base. Dans Pokémon Soleil et Lune, par exemple, le jeu expliquait encore comment capturer un Pokémon après vingt ans de pratique de la licence. L’impression était insultante : les fans de longue date n’apprenaient rien, et les nouveaux auraient pu comprendre avec une explication beaucoup plus concise.

De la même manière, des jeux comme Super Mario Galaxy 2 imposaient parfois des explications évidentes pour des actions naturelles comme sauter ou courir. Le joueur, même débutant, sait intuitivement appuyer sur un bouton pour sauter, et le lui répéter ralentit inutilement le début de l’expérience.

Quand le joueur devient professeur malgré lui

Au final, les tutoriels ratés révèlent un paradoxe : le jeu est censé enseigner, mais parfois, c’est le joueur qui finit par apprendre à survivre… au tutoriel lui-même. Ces moments où l’on se demande si l’on joue vraiment ou si l’on suit une série de tests absurdes sont autant de preuves que l’apprentissage interactif peut se transformer en épreuve de patience. Lire trois écrans de texte pour sauter par-dessus un trou, répéter la même manœuvre jusqu’à la perfection, ou comprendre des objectifs incompréhensibles, voilà des expériences qui laissent des souvenirs indélébiles, mais rarement joyeux.

Et pourtant, il y a quelque chose de fascinant dans ces échecs : ils nous rappellent que le jeu vidéo n’est pas seulement une mécanique ou un univers, mais aussi une rencontre étrange entre intention des développeurs et absurdité du réel. Un tutoriel raté, c’est un peu comme ce professeur qui explique leçon après leçon, mais oublie de nous dire comment passer la porte de la salle de classe : frustrant, déroutant, mais inoubliable. Après tout, si le joueur ressort de cette expérience avec des anecdotes à raconter, des grommellements face à l’écran et un talent inattendu pour décoder l’inexplicable, le tutoriel aura peut-être raté son objectif… mais réussi à créer une histoire à part entière.

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