[Dossier] Médecins, guérisseurs et soignants : le corps médical à l’œuvre dans les jeux vidéo

Temps de lecture estimé : 11 minutes

Écrit par : Sébastien Falter

[Dossier] Médecins, guérisseurs et soignants : le corps médical à l'œuvre dans les jeux vidéo
[Dossier] Médecins, guérisseurs et soignants : le corps médical à l’œuvre dans les jeux vidéo

Soigner ou survivre : quand le jeu vidéo fait de la médecine un enjeu ludique

Le monde du jeu vidéo regorge de figures héroïques prêtes à affronter les pires dangers. Soldats, magiciens, pilotes, mercenaires, explorateurs, tous incarnent à leur façon des archétypes familiers. Mais un rôle, souvent discret, traverse de nombreux genres sans jamais disparaître : celui du soignant. Le corps médical dans les jeux vidéo se manifeste sous différentes formes, allant du médecin militaire dans un FPS au chirurgien surmené dans une simulation chirurgicale, jusqu’au personnage de soutien dans les MMORPG. Soigner devient parfois une mission en soi, parfois un acte annexe, mais toujours chargé de symboles et de mécaniques propres.

La figure du soigneur dans les jeux multijoueurs : un rôle de l’ombre

Dans les jeux multijoueurs, notamment les MMO et les jeux coopératifs, la classe du soigneur occupe une place essentielle. Ce rôle repose sur une logique de soutien : restaurer la santé des alliés, les réanimer, annuler les effets négatifs, poser des boucliers ou renforcer l’endurance. Des titres comme World of Warcraft, Final Fantasy XIV, Guild Wars 2, NosTale ou encore Lost Ark confèrent à cette classe une influence majeure sur la réussite d’un groupe. Pourtant, le gameplay du soigneur repose rarement sur l’adrénaline du dégât infligé ou la gloire de la première ligne. Il faut observer, anticiper, sacrifier sa propre offensive pour maintenir un groupe debout. Ce n’est pas un rôle de façade, mais un pilier stratégique, exigeant et parfois mal récompensé en termes de reconnaissance.

Dans Overwatch, la figure du médecin prend la forme de personnages comme Mercy, Ana ou Baptiste. Chacun propose une vision différente de ce que signifie « soigner » : pistolet de soins, tirs tranquillisants, drones médicaux… La médecine est ici une arme, une présence rassurante mais fragile. L’équilibre entre protection et vulnérabilité façonne le style de jeu de ces classes, souvent ciblées en priorité par l’équipe adverse, preuve de leur importance.

Le chirurgien sous pression : la simulation du geste médical

Au-delà du soutien dans l’action, certains jeux placent la médecine au cœur même du gameplay. Les surgical simulators proposent une approche volontairement technique, parfois sérieuse, parfois délirante. Dans Surgeon Simulator, le joueur incarne un chirurgien maladroit, contraint de pratiquer des opérations avec des outils bancals et une physique hasardeuse. Loin de la rigueur hospitalière, le titre joue sur l’absurde, multipliant les situations grotesques et les gestes ratés.

Mais d’autres titres visent une approche plus réaliste. Project Hospital, Two Point Hospital (successeur spirituel de Theme Hospital), ou encore Hospital Tycoon, invitent à gérer un établissement médical, avec tout ce que cela implique : organisation des soins, gestion des personnels, construction des services, réponse aux urgences. On passe ici du scalpel au plan de service, du cœur humain à la file d’attente. La médecine devient une question d’optimisation, de logistique, mais aussi d’empathie simulée. Même dans la caricature, l’humour souligne les failles et les tensions d’un système de soin.

Quand la médecine devient narration : jouer un médecin, vivre ses dilemmes

Certains jeux n’utilisent pas le corps médical comme simple outil de gameplay, mais en font un ressort narratif. Incarner un médecin devient alors un vecteur de tension dramatique, de choix moraux, d’humanité ou de froideur. Dans This War of Mine, par exemple, le joueur peut incarner un survivant qui tente de maintenir en vie un petit groupe. La gestion des soins devient vite un problème crucial : manque de médicaments, blessures graves, propagation de maladies… On n’est pas médecin de guerre, mais soignant improvisé, obligé de faire des choix déchirants.

Plus récemment, Bury Me, My Love et Life is Strange 2 abordent la question de la santé mentale ou de l’accès aux soins dans des contextes sociaux marqués. Même si le joueur n’est pas explicitement médecin, l’accompagnement, le soin, l’attention à l’autre deviennent des axes centraux du récit. Le corps médical est ici évoqué à travers les carences, les absences et les obstacles à l’aide.

Dans Vampyr, le joueur incarne un médecin devenu vampire dans un Londres ravagé par une épidémie. Le dilemme entre la nature prédatrice du héros et sa mission de soin structure tout le gameplay. On soigne des patients pour mieux comprendre leurs maux, tout en sachant qu’il faudra peut-être en sacrifier un pour survivre. Un double rôle, à la fois salvateur et destructeur.

L’hôpital comme terrain de jeu : entre humour, satire et critique

Certains jeux choisissent l’hôpital comme cadre principal, mais le transforment en théâtre d’absurdités. C’est le cas de Theme Hospital, dont la suite moderne Two Point Hospital reprend les codes avec brio. Maladies farfelues (tête en forme d’ampoule, syndrome de l’Elvis), personnel inefficace, patients impatients… L’hôpital devient une scène de comédie où la médecine est une série de systèmes à réguler. Le joueur n’apprend rien de concret sur la chirurgie, mais comprend intuitivement la complexité de la chaîne de soins, entre logistique, psychologie et architecture.

Même dans les jeux les plus sérieux, les représentations médicales ne sont pas exemptes de stéréotypes ou de détournements. Emergency, Rescue HQ ou 911 Operator proposent de gérer des services d’urgence, mais souvent sous l’angle du spectacle. On ne soigne pas, on sauve, on agit vite, on fait face à des drames plus grands que nature. L’hôpital devient un décor héroïque, un lieu de batailles silencieuses.

La médecine dans les jeux de survie : improvisation et précarité

Dans de nombreux jeux de survie, la santé devient une ressource fragile. Le joueur n’est pas un médecin, mais il doit apprendre à soigner : pansements, antiseptiques ou potions artisanales. Dans The Long Dark, Green Hell, DayZ, Project Zomboid, The Forest, les blessures, les infections, les maladies sont des ennemis invisibles, tout aussi redoutables que les prédateurs. Il faut connaître les plantes, gérer les symptômes, parfois fabriquer son propre remède à partir de rien. La médecine n’est plus une science, mais un bricolage de fortune.

Metal Gear Solid 3: Snake Eater pousse cette logique plus loin, avec une interface dédiée au soin : fracture, empoisonnement, saignement… Chaque problème de santé nécessite un traitement spécifique, à appliquer soi-même via un menu. L’immersion passe par la contrainte : prendre soin de son avatar devient une routine de survie.

Jeux indépendants et soins alternatifs : explorer d’autres formes de guérison

La scène indépendante s’est emparée de la question du soin de manière originale, en s’éloignant des représentations médicales classiques. Heal de Jesse Makkonen évoque la vieillesse, la solitude, la mémoire et la douleur de façon poétique. Spiritfarer propose d’accompagner des esprits vers l’au-delà, en prenant soin d’eux dans leurs derniers instants. Ce n’est pas de la médecine au sens strict, mais une forme de soin émotionnel, de présence bienveillante. De même, Kind Words invite à écrire des messages réconfortants à des inconnus, dans un espace numérique doux.

On retrouve aussi des jeux comme Eliza, qui place le joueur dans la peau d’une thérapeute virtuelle, ou Celeste, qui traite de santé mentale et d’anxiété à travers le gameplay. Ici, le soin passe par la parole, l’écoute, l’introspection. La médecine n’est plus affaire de bistouri ou de pansement, mais de liens humains, d’émotions, de réparations intérieures. Mais je ne vais pas développer davantage cet aspect, car la santé mentale dans les jeux vidéo mérite à elle seule un dossier complet.

Médecine et science-fiction : guérison futuriste et enjeux technologiques

Dans l’univers de la science-fiction, la médecine prend des formes futuristes. Robots chirurgiens, implants auto-réparateurs, nanotechnologie… Mass Effect, Deus Ex, Cyberpunk 2077, Dead Space ou encore Prey offrent une vision transhumaniste du soin. Se soigner devient une fonction du corps augmenté, souvent instantanée, parfois payante. La douleur est effacée, le traumatisme externalisé.

Mais ces jeux interrogent aussi sur les dérives possibles : soins privatisés, médecine déshumanisée, marchandisation du corps. Dans Hardspace: Shipbreaker, les blessures sont fréquentes, les soins coûteux, et chaque opération médicale est facturée par une entreprise géante. Le soin devient un service, pas un droit. Une vision cynique, mais malheureusement plausible.

Médecins du passé : médecine et histoire dans les jeux à contexte réaliste

Les jeux vidéo qui plongent dans le passé n’oublient pas toujours la médecine. Même si ce n’est pas leur cœur de gameplay, certains titres utilisent les médecins comme témoins ou acteurs d’une époque. Dans Assassin’s Creed Unity, les épidémies à Paris et les soins rudimentaires évoquent la médecine de la Révolution française. Dans Kingdom Come: Deliverance, la médecine médiévale est représentée de manière brute, souvent inefficace : saignées, herbes, rites… Le joueur doit parfois s’improviser guérisseur, mais selon les croyances et moyens de l’époque.

Dans A Plague Tale: Innocence et sa suite Requiem, la peste devient un enjeu narratif autant qu’un élément de gameplay. Les médecins sont masqués, effrayants, symboles d’une médecine plus inquisitrice que bienveillante. Loin des hôpitaux modernes, le soin devient une lutte contre l’invisible, contre la peur, contre l’ignorance.

Valiant Hearts: The Great War montre quant à lui la guerre de 14-18 sous l’angle humanitaire. Le joueur y incarne notamment une infirmière, soignant les blessés sur le champ de bataille. La médecine y est rudimentaire, mais centrale : elle représente l’empathie au cœur du chaos. Le soin devient résistance à l’horreur.

Jeux éducatifs médicaux : enseigner la médecine en jouant

Certains titres ont une ambition pédagogique assumée. Ce sont souvent des projets destinés aux étudiants, visant à expliquer les rouages de la médecine ou à sensibiliser à des thématiques de santé. Bio Inc. et Plague Inc. adoptent un angle cynique : il s’agit de créer ou soigner des maladies, en jouant avec les paramètres biologiques. Cela reste abstrait, mais cela initie à certaines logiques médicales ou épidémiologiques.

Des applications plus sérieuses comme Touch Surgery ou Virtual ER tentent de simuler des gestes médicaux réels. Ce sont parfois des outils de formation plus que des jeux au sens strict, mais ils montrent que le médium vidéoludique peut s’intégrer dans des cursus médicaux. Les casques VR permettent également de recréer des situations d’urgence ou des environnements hospitaliers pour entraîner des étudiants dans des conditions proches du réel.

Dans un autre registre, des jeux comme That Dragon, Cancer ou The Cat and the Coup abordent des sujets médicaux sensibles à travers la narration interactive. Ici, l’enjeu n’est pas d’apprendre à soigner, mais de comprendre ce que signifie vivre la maladie, accompagner un proche, affronter la fin de vie. La médecine devient alors l’arrière-plan d’un récit personnel, intense et bouleversant.

Les soins comme métaphore : quand guérir devient un message

Dans certains jeux, soigner ne signifie pas panser une plaie ou réduire une fièvre. Il s’agit d’un processus symbolique, émotionnel, parfois spirituel. Journey, par exemple, ne parle pas de médecine, mais de reconstruction. Le lien entre les joueurs, muet mais bienveillant, agit comme une forme de guérison mutuelle. On ne soigne pas avec des seringues, mais par la présence, l’écoute ou l’entraide.

Gris, Sea of Solitude ou encore Omori abordent la dépression, le deuil et l’angoisse. Le soin ici est mental, introspectif. Le gameplay devient un chemin de rétablissement. On traverse des paysages torturés, des souvenirs sombres, pour tenter de retrouver une lumière intérieure. Ces jeux ne montrent pas de médecins, mais font vivre au joueur un processus proche de la thérapie.

Entre héroïsme et humanité

Le corps médical dans les jeux vidéo incarne une figure ambivalente. Parfois relégué au second plan, parfois au cœur de l’action, il n’a jamais cessé de représenter une forme de résistance. Résistance à la mort, à la douleur, au chaos. Soigner, dans un jeu vidéo, ce n’est pas seulement remplir une jauge de vie. C’est prendre une responsabilité, observer, attendre et choisir.

Qu’il s’agisse d’un médecin militaire dans Call of Duty, d’un guérisseur dans Final Fantasy, d’un chirurgien maladroit dans Surgeon Simulator, ou d’un esprit consolateur dans Spiritfarer, chaque incarnation du soignant raconte quelque chose de notre rapport au soin. La médecine virtuelle ne remplace pas la réalité, mais elle en explore les contours : l’urgence, l’espoir et la fragilité humaine.

Le jeu vidéo, en plaçant parfois le joueur dans la peau d’un médecin, d’un soignant, d’un soutien, ne fait pas qu’inventer des mécaniques. Il propose une expérience de l’attention à l’autre. Il montre que dans l’univers du jeu, la guérison peut être plus complexe, plus subtile, mais tout aussi essentielle que la victoire.

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