Keeper’s Toll

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Temps de lecture estimé : 7 minutes

Bande-annonce de Keeper’s Toll

Le premier contact avec Keeper’s Toll, ce n’est pas un clic. Ce n’est pas un regard. C’est une sensation. Comme si quelque chose pesait dans l’air, une vieille mélodie oubliée que vous ne reconnaissez pas, mais dont la dissonance vous dérange sans qu’aucune note ne résonne. D’emblée, ce jeu ne cherche pas à séduire par l’évidence. Il s’avance masqué, les yeux dans l’ombre, et attend que vous fassiez le premier pas. Et à partir de là, le monde ne vous laissera plus partir.

Parce que Keeper’s Toll, c’est moins un jeu qu’une ambiance. Une morsure lente, mais profonde. Pas une expérience tapageuse, pas un festival de lumière, mais un labyrinthe de souffles, de sang et de silence. Il faut accepter de se perdre, de trébucher, de recommencer. De ne pas tout comprendre. Ce n’est pas une aventure qui vous prend par la main. C’est un serment, et vous allez devoir le payer.

Un défi impitoyable à l’odeur d’encens brûlé

Keeper’s Toll
Keeper’s Toll

Derrière sa façade pixelisée, Keeper’s Toll est un roguelite où chaque incursion dans un monde déchiré par le chaos se transforme en rituel sacrificiel. Il ne s’agit pas simplement de survivre, mais de comprendre. D’apprendre à lire dans les patterns ennemis comme on interprète des signes dans des cendres. Car chaque mouvement, chaque esquive, chaque coup porté ou reçu devient partie d’un langage que vous devez déchiffrer à la volée.

Vous choisissez une classe parmi six archétypes radicalement différents : du moine de l’ombre rapide et insaisissable au bogatyr lourd et défensif, en passant par la nécromancienne, le pyromancien ou l’archère piégeuse. Aucun de ces rôles n’est interchangeable. Chacun réclame une posture mentale particulière, un rythme d’apprentissage unique. Vous ne changez pas de personnage. Vous changez de façon de penser.

Les ennemis sont innombrables, souvent agressifs au-delà du raisonnable, et certains agissent comme s’ils lisaient dans vos gestes. Les boss, quant à eux, sont des épreuves. Pas des sacs de PV, non. Des puzzles vivants, des hymnes à l’erreur, où chaque mort est une ligne ajoutée à un grimoire personnel. Chaque zone, quatre au total, est pensée comme une liturgie sinistre : la forêt viciée, les souterrains infâmes, la citadelle désespérée… Des lieux où avancer, c’est accepter d’y laisser un peu de lucidité.

Quand le silence hurle et que le pixel saigne

Keeper’s Toll
Keeper’s Toll

Côté visuel, Keeper’s Toll fait le choix d’un pixel-art dense, rugueux, sans complaisance. Ici, rien n’est doux ou mignon. Tout suinte l’humidité, la mort lente, l’ancien monde. La palette, majoritairement composée de tons terreux, de rouges sombres et de gris cendrés, ne cherche jamais à flatter la rétine. Et pourtant, impossible de détourner le regard. Les détails fourmillent. Un crâne oublié au fond d’un marais. Une statue fendue qui semble presque respirer. Un vitrail éclaté d’un ancien culte. Rien n’est laissé au hasard, et chaque image semble contenir une histoire que le jeu ne prendra pas la peine de vous raconter.

Les animations, bien qu’évidemment limitées par le style graphique, sont soignées, parfois même hypnotiques. Le moine tourbillonne avec une fluidité digne d’un manhua. Le bogatyr frappe comme s’il remuait la terre elle-même. L’impact sonore des coups, d’ailleurs, est une réussite rarement égalée dans le genre : chaque frappe, chaque glissement de lame ou chaque bête qui hurle dans le lointain provoque une réaction physique. On se raidit. On serre les dents.

Les musiques, elles, ne vous accompagnent pas. Elles vous observent. Elles rampent sous votre peau. Quelques nappes brumeuses, quelques cloches lointaines, parfois une voix, seule, qui murmure entre deux couloirs. Pas de thème héroïque ici. Pas de mélodie à fredonner. C’est un univers qui préfère le silence pesant à la fanfare. Et ce choix, radical, fonctionne à la perfection.

Enfin, la jouabilité, bien que parfois rigide selon la classe sélectionnée, ne vous trahit jamais vraiment. Chaque input répond, chaque commande déclenche exactement ce que vous avez voulu faire. Sauf quand c’est votre panique qui prend le dessus. Et dans ce cas, Keeper’s Toll ne vous pardonne pas.

Le prix du sang et de la répétition

Keeper’s Toll
Keeper’s Toll

Mais tout n’est pas sanctifié dans Keeper’s Toll. Le jeu, malgré ses nombreuses qualités, traîne derrière lui des chaînes. D’abord, l’équilibrage des classes laisse parfois un goût de métal froid en bouche. Le nécromancien, par exemple, qui devrait jouer sur la distance et l’usure, souffre d’un manque d’impact évident. Ses invocations sont trop fragiles, son positionnement trop exigeant pour les récompenses qu’il offre. À l’inverse, certaines classes comme le moine ou le pyromancien semblent dominer la scène bien trop aisément, une fois maîtrisées.

Autre problème : la progression devient parfois répétitive, surtout dans les premières zones. Vous entrez, vous mourez, vous recommencez. Et ce schéma, qui fait le sel du roguelite, finit par s’user quand les éléments aléatoires ne suffisent plus à renouveler l’expérience. Les environnements changent peu, les variations d’ennemis se font attendre, et la sensation de nouveauté s’estompe si vous insistez trop longtemps sans avancer dans l’histoire ou les déblocages.

On peut également pointer du doigt une interface un peu spartiate, notamment dans la gestion des compétences ou des objets. Il faut parfois naviguer à l’instinct, sans véritable guide. Cela participe à l’immersion… jusqu’au moment où cela devient juste frustrant.

Enfin, si l’univers visuel et sonore est profondément évocateur, il ne raconte que peu de choses concrètes. Aucune narration directe, aucun fil conducteur clair. Ceux qui espèrent une histoire forte, articulée, risquent de rester en dehors du cercle. Le monde existe, certes, mais il ne vous parle qu’en fragments. Il vous faut deviner, reconstruire, ou abandonner.

Un pacte avec les ombres

Keeper’s Toll
Keeper’s Toll

Keeper’s Toll ne vous offrira rien gratuitement. Il ne flattera pas votre ego. Il ne vous applaudit pas quand vous réussissez. Ce qu’il propose, c’est un pacte. Un aller simple vers un monde en ruine, où chaque réussite s’arrache, où chaque ennemi vaincu laisse une trace, un vide, une marque sur votre manière d’aborder le jeu.

Sa richesse, vous ne la découvrirez pas en une session. Ni même en dix. Elle se construit lentement, à travers les mécaniques que vous apprivoisez, les classes que vous dominez, les ennemis que vous reconnaissez avant même qu’ils n’apparaissent à l’écran. Et c’est là, dans cette maîtrise progressive, que le titre révèle toute sa force.

Malgré ses déséquilibres, ses zones de fatigue et ses lacunes narratives, Keeper’s Toll parvient à faire quelque chose de rare : il vous transforme. Il ne vous distrait pas. Il vous forge. Et à la fin, si vous tenez, si vous persistez, vous ne saurez plus si vous avez vaincu le jeu… ou si c’est lui qui vous a façonné.

Merci à l’éditeur de nous avoir fourni le jeu.

Le testeur aime:

  • Une ambiance unique, oppressante et parfaitement maîtrisée
  • Un pixel art austère mais détaillé, riche en symboles et en intentions
  • Des animations percutantes, des effets sonores viscéraux
  • Une direction sonore subtile, minimaliste, mais marquante
  • Un gameplay exigeant, précis, qui récompense l’apprentissage
  • Une diversité de classes qui modifie réellement votre approche
  • Un univers cryptique et intrigant, qui pousse à l’interprétation
  • Des combats de boss mémorables et techniques
  • Une sensation constante de danger et de tension maîtrisée

Le testeur n'aime pas:

  • Un équilibrage parfois bancal entre certaines classes
  • Une répétitivité notable dans les zones de départ à long terme
  • Des éléments aléatoires peu variés au fil des runs
  • Une interface austère et peu ergonomique dans les menus
  • L’absence de narration explicite pourra dérouter
  • Un manque de guidage pouvant frustrer les moins patients
  • Des pics de difficulté soudains, parfois décourageants
8.3

Super

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