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Dans un monde vidéoludique en perpétuelle évolution, où la quête du spectaculaire et de l’adrénaline occupe bien souvent le devant de la scène, certains studios indépendants prennent le parti de ralentir le rythme, de poser un autre regard, plus intérieur, sur ce que peut être une expérience de jeu.
Leila, développé par le studio Ubik Studios, s’inscrit dans cette veine contemplative. Dès les premières minutes, le ton est donné : pas de combats, pas de score, pas d’urgence. Ici, le temps s’étire, les silences parlent, et chaque détail compte.
Sorti en avril 2025, ce jeu narratif de type point-and-click propose une immersion douce-amère dans les méandres d’une mémoire fragmentée. Il s’adresse à un public bien précis, sensible aux œuvres qui se vivent autant qu’elles se jouent, et qui accepte de se laisser porter, sans toujours chercher à contrôler ni à comprendre immédiatement.
Cette approche, bien que risquée dans un secteur habitué aux sollicitations permanentes, mérite qu’on s’y attarde, car Leila n’est pas un simple jeu, mais une proposition artistique à part entière.
Un récit intime et mystérieux
Dans Leila, vous incarnez une femme qui semble avoir tout oublié. Ni votre nom, ni votre passé, ni même votre présent ne vous sont familiers. Seule la sensation d’un vide, d’un manque, vous accompagne dans ce voyage aux contours flous.
Vous êtes invité à reconstituer, petit à petit, les fragments de votre mémoire, à travers une série de tableaux oniriques qui prennent la forme de lieux tantôt réalistes, tantôt entièrement métaphoriques. La narration ne se fait pas de manière linéaire ; elle se dévoile par touches, à travers des objets à examiner, des phrases entendues en voix off, des environnements qui suggèrent plus qu’ils ne montrent.
Chaque scène semble représenter un souvenir, une émotion enfouie, une blessure que vous n’osez pas nommer. Le gameplay, très simple, repose presque exclusivement sur l’exploration : vous cliquez pour déplacer Leila, pour interagir avec des éléments du décor, pour déclencher des séquences de souvenir.
Il n’y a pas de véritable puzzle, pas d’obstacle mécanique à franchir, mais une forme de lente enquête émotionnelle. Vous devez accepter de ne pas tout comprendre immédiatement, de vous immerger dans cette brume mentale où le sens se reconstruit lentement, parfois douloureusement.
C’est une forme de narration environnementale poussée à son paroxysme, où chaque lumière, chaque texture, chaque son, chaque silence fait partie du récit. L’expérience devient alors presque introspective, comme si vous accompagniez Leila dans une thérapie symbolique, où la seule finalité est de vous retrouver vous-même.
Une direction artistique raffinée
Ce qui frappe d’emblée, au-delà de l’ambiance narrative, c’est l’esthétique visuelle du jeu. Leila adopte un style graphique qui oscille entre l’illustration à la main et l’aquarelle animée.
Chaque tableau semble peint, parfois à peine esquissé, d’autres fois saturé de couleurs ou baigné d’un flou vaporeux qui évoque le rêve ou l’oubli. Vous vous retrouvez face à des décors qui ne se contentent pas d’habiller l’univers, mais qui en constituent le langage émotionnel.
Certaines scènes évoquent des souvenirs d’enfance, d’autres des lieux marquants de la vie adulte : une chambre d’hôpital, une gare, une forêt, un appartement figé dans le temps. Les jeux de lumière, souvent très maîtrisés, viennent souligner la tonalité émotionnelle du moment.
À cela s’ajoute une bande-son discrète mais omniprésente, faite de nappes sonores, de touches de piano mélancoliques, de respirations lentes, de bruits d’ambiance très travaillés. Ce n’est pas un simple habillage sonore que vous entendez, mais un véritable fil narratif qui renforce chaque émotion, chaque hésitation, chaque pas vers le souvenir.
Les silences, eux aussi, sont utilisés avec intelligence, laissant place à des vides sonores qui amplifient parfois plus la tension que n’importe quel morceau de musique.
Toutefois, tout n’est pas parfait. La jouabilité reste simple, ce qui n’est pas un défaut en soi, mais elle souffre de quelques imprécisions : les déplacements de Leila peuvent manquer de fluidité, et vous risquez parfois de tâtonner pour trouver l’objet ou l’interaction attendue.
Cela reste tolérable, mais brise par moments l’immersion que l’ensemble artistique réussit si bien à installer.
Des lenteurs assumées
Il faut être honnête : Leila n’est pas un jeu pour tout le monde. Il repose sur un rythme extrêmement lent, parfois contemplatif jusqu’à la stagnation.
Si vous aimez les jeux qui avancent vite, qui multiplient les surprises et les mécaniques nouvelles, vous risquez de vous sentir frustré. L’expérience, ici, est volontairement étirée, comme pour mieux vous immerger dans un état mental flottant, entre veille et rêve.
Mais cela peut aussi engendrer une forme de lassitude. Après plusieurs séquences, vous comprendrez que les interactions restent les mêmes : vous cliquez, vous observez, vous écoutez. Il y a peu d’évolution dans les mécaniques, peu de surprises structurelles, ce qui peut créer un sentiment de monotonie.
Certains segments vous demanderont de traverser des zones assez vastes sans véritable enjeu ni découverte, ce qui donne l’impression que le jeu se répète, voire se perd en longueur.
D’autre part, certaines séquences narratives ou introspectives, bien que bien écrites, peuvent paraître excessivement nébuleuses ou volontairement cryptiques. Si vous n’êtes pas dans le bon état d’esprit, ou si vous attendez des réponses claires, vous risquez de décrocher.
Enfin, sur le plan technique, quelques bugs mineurs et une ergonomie pas toujours optimale, notamment lors de la sélection d’éléments interactifs, viennent ternir légèrement l’expérience.
Rien de catastrophique, mais suffisamment pour rappeler que derrière la poésie visuelle se cache un jeu qui aurait mérité un peu plus de finition dans sa prise en main.
Un jeu d’auteur touchant
Leila est une œuvre qui touche, qui interpelle, mais qui exige aussi un certain lâcher-prise.
Si vous acceptez son rythme lent, sa narration fragmentée et son approche presque méditative, alors vous trouverez là une expérience unique, sensible, profondément humaine. Leila ne cherche pas à impressionner, ni à divertir au sens classique du terme.
Elle propose un voyage, une introspection, une manière d’explorer ce que la mémoire et l’oubli peuvent créer de plus beau comme de plus douloureux. Pour cela, le jeu s’appuie sur une direction artistique soignée, une ambiance sonore immersive et une narration non linéaire, mais cohérente.
Toutefois, ses mécaniques limitées, son absence de renouveau dans l’interactivité et sa lenteur extrême peuvent vous décourager si vous n’êtes pas en quête de ce type d’expérience.
En fin de compte, Leila est une œuvre d’auteur qui ne fait aucune concession à la facilité. C’est un jeu qui demande à être vécu plus que joué, et qui saura rester en vous bien après l’écran noir de fin, si tant est que vous vous laissiez vraiment happer par son univers.
Merci à l’éditeur de nous avoir fourni le jeu.